Re: Le zinc des anciens mais pas uniquement.....
Posté : mercredi 23 janv. 2019 1:35
Rien à voir avec mes deux romans, mais une vieille histoire que j'ai pris le temps d'écrire...
LE SAMU et la 2 Chevaux
Il y a très longtemps, l’Armée française via l’ALAT, Aviation Légère de Armée de Terre, fournissait pendant l’été de juin à septembre 3 hélicoptères Alouette III aux SAMU de Dijon, Montpellier et Toulouse. Plus tard, devant l’efficacité reconnue de l’hélicoptère dans les opérations de secours, le « civil » a pris la main, des budgets ont été trouvés et aujourd’hui, les SAMU héliportés sont devenus monnaie courante en France.
J’avais 21 ans et jeune pilote sur AL III à Compiègne et au mois d’aout, je suis parti avec un jeune Lieutenant et un Margis (Maréchal des Logis) mécanicien faire mon détachement de 15 jours au SAMU de Dijon. Il y avait 2 pilotes et un mécanicien à chaque relève. Les pilotes prenaient l’alerte de jour individuellement à tour de rôle et la nuit les vols se faisaient à deux pilotes obligatoirement. Comme j’avais déjà 50h de vol de nuit et pas le Lieutenant, j’étais qualifié Commandant de bord de nuit et donc le Chef dès le coucher du soleil, mais le jour, le galon reprenant le dessus, c’était le Lieutenant le Chef….
Parmi les anecdotes qui me reviennent en tête de cette époque, une qui m’a marqué et que je voudrai partager : « La 2 CV ».
Etant d’alerte, je suis assis dans la salle éponyme : 3 fauteuils une table basse, une cafetière et un haut-parleur dans le coin du plafond qui relaie les ordres de la régulation. Depuis la fenêtre, je vois l’Alouette III posé sur le « H » devant le SAMU. Dès potron-minet j’ai fait la visite prévol pour être prêt à décoller à tout moment, puis j’ai pris mon petit-déjeuner au réfectoire des internes et j’attends…. A côté de la salle de repos, il y a la fameuse salle de régulation ou sonne le « 15 ». C’est là, que le Médecin régulateur ( qui est un urgentiste), après évaluation , dispatche les moyens du SAMU en fonction des besoins et des disponibilités : Ambulance routière R5 (oui, la R5 de chez Renault avec un ambulancier chauffeur et un médecin urgentiste) pour les bobos en ville , VSAB , Véhicule de secours aux Accidentés et Brulés pour les cas plus graves pouvant nécessiter une hospitalisation ou l’arme ultime des cas graves et plus éloignés : l’Hélico…
Entre la salle de régulation et tout le reste du SAMU, des haut-parleurs pour donner les alertes et appeler les différents personnels, brancardiers, chauffeurs, ambulanciers médecin, infirmiers, Pilote.
« Pour la R5, j’ai un AVP sans TC ni PC rue de Labourdonnais, ça roule » .
« VSAB, un AVP, TC, PC suspicion AVC rue Marboeuf.. »
Après très peu de temps, les abréviations entendues commencent à rentrer :
AVP = Accident sur la voie Publique
TC = traumatisme crânien
PC = Perte de Connaissance
AVC Accident Vasculaire Cérébral
Comme on dit : je suis prêt à, en mesure de …et d’un coup
L’interphone grésille : : « Hélico, Accident sur l’autoroute sud ». On m’appelle en salle de régulation pour la première ou en tous les cas, une de mes toutes premières EVS, EVASAN, Evacuation Sanitaire, de ma vie… : « Un accident sur l’autoroute au Sud de Dijon ». Je prends les coordonnées auprès du médecin régulateur pendant que l’Urgentiste prend les données médicales envoyées par les Pompiers déjà sur place. Je trouve l’endroit sur la carte, évalue à la louche le temps de vol nécessaire et le donne à la « régul » pour qu’elle prévienne les secours déjà sur place de notre estimée d’arrivée. Le mécano, bien qu’il n’en a officiellement pas le droit, (voire même qu’en fait cela lui est interdit, mais il y a prescription…) a déjà mis en route la turbine et m’attend au pied de la machine. C’est lui qui a vérifié que tous les capotages sont bien fermés et que le bouchon du réservoir est bien en place. La confiance règne entre pilote et mécano, heureusement ! Je m’installe aux commandes pendant que le médecin embarque avec un infirmier. Lancement du rotor, vérifications cabine et décollage immédiat de la DZ depuis l’enceinte de l’Hôpital. Après quelques minutes de vol, facile, en suivant l’autoroute, je vois un gros bouchon, les ambulances, les voitures de police et de pompiers. Approche à la Speedy Gonzales, mais avec prudence et nous voilà bientôt posés sur l’autoroute du soleil pas trop loin de l’accident, mais pas trop près pour éviter que le souffle du rotor ne fasse voler les débris. Au passage, j’ai découvert une fois posé sur la ligne médiane que deux voies d’autoroute mesuraient la même largeur que le diamètre d’un rotor d’alouette III.
Pendant que je freine le rotor et coupe la turbine, le médecin et l’infirmier courent vers l’accident, à leur suite, j’apporte mon aide en transportant la deuxième des deux valises d’urgence qui sont à bord et là je découvre l’apocalypse : Papy et Mamie, au moins 180 ans à eux deux, roulaient tranquille dans leur 2 CV modèle 61 quand pour une raison que j’ignore, une voiture remorquant une énorme caravane leur a roulé dessus….En fait, c’est la caravane qui a écrasé tout le côté avant gauche de la 2CV. Mamie est sortie quasi indemne à droite de la voiture, elle est pas mal choquée et après son extraction par les Pompiers elle est déjà prise en charge par l’infirmier du SAMU. Mais pour Papy, le jambon n’est pas le même ! Lui, il est écrasé et bloqué dans l’habitacle broyé. La 2 CV est toute plate, et la caravane retournée git un peu plus loin. Apparemment le conducteur et les passagers de la voiture tractrice n’ont pas besoin de soins particuliers. De toutes les façons, les Gendarmes et les pompiers s’affairent en avant et en arrière de la 2 CV et empêchent les curieux de s’approcher et je ne les vois pas.
Je découvre les gestes rapides et précis du médecin Urgentiste en intervention. Pendant qu’il s’affaire près du Grand-père, il engage avec lui un dialogue surréaliste (pour moi):
« Bonjour Monsieur, comment vous appelez vous ? Quel âge avez-vous ?» En fait, j’ai appris/compris plus tard qu’il s’en fout complétement du nom du blessé et un peu moins de son âge. Les questions, c’est juste pour s’assurer du niveau de conscience du blessé et créer un lien de confiance.
« Papy, vous avez un dentier ?, oui, donnez-le moi… » La aussi, j’apprends qu’il faut éviter que le Papy « avale ses dents » et que si le médecin devait l’intuber, il ne faut pas qu’il ait de prothèses mobile dans la bouche qui puisse gêner l’opération.
Mais le Papy fait de la résistance : « Non, je ne donnerais pas mes dents ! »
Dialogue de sourd, bref, mais qui finit à l’avantage du médecin qui d’autorité lui met deux doigts dans la bouche et lui enlève son dentier : « Papy on vous le rendra tout à l’heure »… Le médecin évalue en même temps les blessures et commence à poser un masque à oxygène, une minerve, et une « voie d’abord », une perfusion pour pouvoir injecter ce qu’il juge nécessaire au Grand-père. Les pompiers attendent à l’écart, prêts pour désincarcérer le Papy, moi je tiens la perf en hauteur, le médecin s’affaire, quand tout à coup, le Papy gueule qu’il a mal et peu après je vois du liquide rouge, comme du liquide de freins couler du dessous de la 2 CV vers mes pieds. Je le signale au médecin qui est affairé avec le Grand-Père et qui (lui) immédiatement comprend la situation….Il ne me le dit pas, mais on parlera plus tard en salle d’alerte après l’Evasan : Ce n’est pas du Lockheed, mais du sang, le Papy est en train de se vider….Mais par ou ?
Comme le Papy est broyé dans la voiture, il a juste le buste qui émerge coincé entre le volant et le dossier du siège tordu.
Le médecin se penche en avant, farfouille dans les tôles avec sa main, puis m’appelle, me prend la main et me guide à travers les tôles. Ce faisant, je suis penché en avant la perf d’une main en l’air et l’autre enfoncé jusqu’au coude dans la carcasse de la 2 CV… ou de ce qu’il en reste. Le médecin me dit : « appuie là le plus fort que tu peux, ne relâches surtout pas… »
Le militaire que je suis, obéi et appuie fort sans trop savoir ce que je suis en train de faire…, le médecin s’affaire pour conditionner le blessé, il autorise les pompiers qui sont juste à côté à intervenir avec leurs cisailles hydrauliques pour découper la tôle et libérer enfin le Papy de la carcasse broyée…. le Papy, lui est de moins en moins frais et de plus en plus pale et il ne parle presque plus.
Au fur et à mesure que les tôles sont découpées et enlevées par les pompiers autour du Grand-Père, je vois mon bras apparaître et je découvre que j’appuie sur sa jambe au niveau de la cuisse. L’Urgentiste me dira plus tard que l’artère fémorale a été sectionnée ou du moins percée pendant l’accident et que la perf le remplit pendant qu’il se vide….Oui, je sais, c’est un langage un peu rude, mais combien juste. J’ai appris ainsi que ce que j’avais fait était mon premier point de compression.
Finalement dégagé, Installé sur la civière, le Papy reçoit les derniers soins d’urgence pour le préparer au transport, un vrai garrot et on l’installe dans l’hélico pour un retour rapide sur Dijon ou il sera pris en charge dès notre arrivée par le bloc opératoire qui a été prévenu par radio par le médecin.
A peine posé sur la DZ, le brancard à roulettes l’attend et dès le rotor arrêté, il est transféré au bloc opératoire.
J’ai 21 ans, je viens de faire l’une de mes toutes premières interventions en secours routier par hélicoptère, j’ai les mains pleines du sang, (pas eu le temps de mettre des gants), d’un Grand Père inconnu que je n’ai jamais revu et que je ne reverrai peut-être jamais, non pas qu’il soit mort, mais c’est aussi une règle que j’ai apprise au SAMU par les médecins et infirmiers urgentistes : on ne doit pas penser, ni s’attacher à ceux que l’on a secouru , ni pendant, ni après le secours. Si on fait cela, on passe dans l’affectif et on risque de s’attendrir et si on s’attendrit, on perd en efficacité. On ne doit pas se laisser guider par ses émotions mais par son professionnalisme, dans l’intérêt des blessés. C’est un peu dur quand on a 21 ans, pleins d’idéaux dans la tête et encore plein d’empathie pour son prochain…Mais avec du recul, ils ont raison, c’est la seule attitude valable.
Le SAMU….quels souvenirs….
NB : Toute la séquence de soins et désincarcération du Grand-Père n’a duré en fait que quelques minutes. C’est plus long à raconter qu’à vivre…
LE SAMU et la 2 Chevaux
Il y a très longtemps, l’Armée française via l’ALAT, Aviation Légère de Armée de Terre, fournissait pendant l’été de juin à septembre 3 hélicoptères Alouette III aux SAMU de Dijon, Montpellier et Toulouse. Plus tard, devant l’efficacité reconnue de l’hélicoptère dans les opérations de secours, le « civil » a pris la main, des budgets ont été trouvés et aujourd’hui, les SAMU héliportés sont devenus monnaie courante en France.
J’avais 21 ans et jeune pilote sur AL III à Compiègne et au mois d’aout, je suis parti avec un jeune Lieutenant et un Margis (Maréchal des Logis) mécanicien faire mon détachement de 15 jours au SAMU de Dijon. Il y avait 2 pilotes et un mécanicien à chaque relève. Les pilotes prenaient l’alerte de jour individuellement à tour de rôle et la nuit les vols se faisaient à deux pilotes obligatoirement. Comme j’avais déjà 50h de vol de nuit et pas le Lieutenant, j’étais qualifié Commandant de bord de nuit et donc le Chef dès le coucher du soleil, mais le jour, le galon reprenant le dessus, c’était le Lieutenant le Chef….
Parmi les anecdotes qui me reviennent en tête de cette époque, une qui m’a marqué et que je voudrai partager : « La 2 CV ».
Etant d’alerte, je suis assis dans la salle éponyme : 3 fauteuils une table basse, une cafetière et un haut-parleur dans le coin du plafond qui relaie les ordres de la régulation. Depuis la fenêtre, je vois l’Alouette III posé sur le « H » devant le SAMU. Dès potron-minet j’ai fait la visite prévol pour être prêt à décoller à tout moment, puis j’ai pris mon petit-déjeuner au réfectoire des internes et j’attends…. A côté de la salle de repos, il y a la fameuse salle de régulation ou sonne le « 15 ». C’est là, que le Médecin régulateur ( qui est un urgentiste), après évaluation , dispatche les moyens du SAMU en fonction des besoins et des disponibilités : Ambulance routière R5 (oui, la R5 de chez Renault avec un ambulancier chauffeur et un médecin urgentiste) pour les bobos en ville , VSAB , Véhicule de secours aux Accidentés et Brulés pour les cas plus graves pouvant nécessiter une hospitalisation ou l’arme ultime des cas graves et plus éloignés : l’Hélico…
Entre la salle de régulation et tout le reste du SAMU, des haut-parleurs pour donner les alertes et appeler les différents personnels, brancardiers, chauffeurs, ambulanciers médecin, infirmiers, Pilote.
« Pour la R5, j’ai un AVP sans TC ni PC rue de Labourdonnais, ça roule » .
« VSAB, un AVP, TC, PC suspicion AVC rue Marboeuf.. »
Après très peu de temps, les abréviations entendues commencent à rentrer :
AVP = Accident sur la voie Publique
TC = traumatisme crânien
PC = Perte de Connaissance
AVC Accident Vasculaire Cérébral
Comme on dit : je suis prêt à, en mesure de …et d’un coup
L’interphone grésille : : « Hélico, Accident sur l’autoroute sud ». On m’appelle en salle de régulation pour la première ou en tous les cas, une de mes toutes premières EVS, EVASAN, Evacuation Sanitaire, de ma vie… : « Un accident sur l’autoroute au Sud de Dijon ». Je prends les coordonnées auprès du médecin régulateur pendant que l’Urgentiste prend les données médicales envoyées par les Pompiers déjà sur place. Je trouve l’endroit sur la carte, évalue à la louche le temps de vol nécessaire et le donne à la « régul » pour qu’elle prévienne les secours déjà sur place de notre estimée d’arrivée. Le mécano, bien qu’il n’en a officiellement pas le droit, (voire même qu’en fait cela lui est interdit, mais il y a prescription…) a déjà mis en route la turbine et m’attend au pied de la machine. C’est lui qui a vérifié que tous les capotages sont bien fermés et que le bouchon du réservoir est bien en place. La confiance règne entre pilote et mécano, heureusement ! Je m’installe aux commandes pendant que le médecin embarque avec un infirmier. Lancement du rotor, vérifications cabine et décollage immédiat de la DZ depuis l’enceinte de l’Hôpital. Après quelques minutes de vol, facile, en suivant l’autoroute, je vois un gros bouchon, les ambulances, les voitures de police et de pompiers. Approche à la Speedy Gonzales, mais avec prudence et nous voilà bientôt posés sur l’autoroute du soleil pas trop loin de l’accident, mais pas trop près pour éviter que le souffle du rotor ne fasse voler les débris. Au passage, j’ai découvert une fois posé sur la ligne médiane que deux voies d’autoroute mesuraient la même largeur que le diamètre d’un rotor d’alouette III.
Pendant que je freine le rotor et coupe la turbine, le médecin et l’infirmier courent vers l’accident, à leur suite, j’apporte mon aide en transportant la deuxième des deux valises d’urgence qui sont à bord et là je découvre l’apocalypse : Papy et Mamie, au moins 180 ans à eux deux, roulaient tranquille dans leur 2 CV modèle 61 quand pour une raison que j’ignore, une voiture remorquant une énorme caravane leur a roulé dessus….En fait, c’est la caravane qui a écrasé tout le côté avant gauche de la 2CV. Mamie est sortie quasi indemne à droite de la voiture, elle est pas mal choquée et après son extraction par les Pompiers elle est déjà prise en charge par l’infirmier du SAMU. Mais pour Papy, le jambon n’est pas le même ! Lui, il est écrasé et bloqué dans l’habitacle broyé. La 2 CV est toute plate, et la caravane retournée git un peu plus loin. Apparemment le conducteur et les passagers de la voiture tractrice n’ont pas besoin de soins particuliers. De toutes les façons, les Gendarmes et les pompiers s’affairent en avant et en arrière de la 2 CV et empêchent les curieux de s’approcher et je ne les vois pas.
Je découvre les gestes rapides et précis du médecin Urgentiste en intervention. Pendant qu’il s’affaire près du Grand-père, il engage avec lui un dialogue surréaliste (pour moi):
« Bonjour Monsieur, comment vous appelez vous ? Quel âge avez-vous ?» En fait, j’ai appris/compris plus tard qu’il s’en fout complétement du nom du blessé et un peu moins de son âge. Les questions, c’est juste pour s’assurer du niveau de conscience du blessé et créer un lien de confiance.
« Papy, vous avez un dentier ?, oui, donnez-le moi… » La aussi, j’apprends qu’il faut éviter que le Papy « avale ses dents » et que si le médecin devait l’intuber, il ne faut pas qu’il ait de prothèses mobile dans la bouche qui puisse gêner l’opération.
Mais le Papy fait de la résistance : « Non, je ne donnerais pas mes dents ! »
Dialogue de sourd, bref, mais qui finit à l’avantage du médecin qui d’autorité lui met deux doigts dans la bouche et lui enlève son dentier : « Papy on vous le rendra tout à l’heure »… Le médecin évalue en même temps les blessures et commence à poser un masque à oxygène, une minerve, et une « voie d’abord », une perfusion pour pouvoir injecter ce qu’il juge nécessaire au Grand-père. Les pompiers attendent à l’écart, prêts pour désincarcérer le Papy, moi je tiens la perf en hauteur, le médecin s’affaire, quand tout à coup, le Papy gueule qu’il a mal et peu après je vois du liquide rouge, comme du liquide de freins couler du dessous de la 2 CV vers mes pieds. Je le signale au médecin qui est affairé avec le Grand-Père et qui (lui) immédiatement comprend la situation….Il ne me le dit pas, mais on parlera plus tard en salle d’alerte après l’Evasan : Ce n’est pas du Lockheed, mais du sang, le Papy est en train de se vider….Mais par ou ?
Comme le Papy est broyé dans la voiture, il a juste le buste qui émerge coincé entre le volant et le dossier du siège tordu.
Le médecin se penche en avant, farfouille dans les tôles avec sa main, puis m’appelle, me prend la main et me guide à travers les tôles. Ce faisant, je suis penché en avant la perf d’une main en l’air et l’autre enfoncé jusqu’au coude dans la carcasse de la 2 CV… ou de ce qu’il en reste. Le médecin me dit : « appuie là le plus fort que tu peux, ne relâches surtout pas… »
Le militaire que je suis, obéi et appuie fort sans trop savoir ce que je suis en train de faire…, le médecin s’affaire pour conditionner le blessé, il autorise les pompiers qui sont juste à côté à intervenir avec leurs cisailles hydrauliques pour découper la tôle et libérer enfin le Papy de la carcasse broyée…. le Papy, lui est de moins en moins frais et de plus en plus pale et il ne parle presque plus.
Au fur et à mesure que les tôles sont découpées et enlevées par les pompiers autour du Grand-Père, je vois mon bras apparaître et je découvre que j’appuie sur sa jambe au niveau de la cuisse. L’Urgentiste me dira plus tard que l’artère fémorale a été sectionnée ou du moins percée pendant l’accident et que la perf le remplit pendant qu’il se vide….Oui, je sais, c’est un langage un peu rude, mais combien juste. J’ai appris ainsi que ce que j’avais fait était mon premier point de compression.
Finalement dégagé, Installé sur la civière, le Papy reçoit les derniers soins d’urgence pour le préparer au transport, un vrai garrot et on l’installe dans l’hélico pour un retour rapide sur Dijon ou il sera pris en charge dès notre arrivée par le bloc opératoire qui a été prévenu par radio par le médecin.
A peine posé sur la DZ, le brancard à roulettes l’attend et dès le rotor arrêté, il est transféré au bloc opératoire.
J’ai 21 ans, je viens de faire l’une de mes toutes premières interventions en secours routier par hélicoptère, j’ai les mains pleines du sang, (pas eu le temps de mettre des gants), d’un Grand Père inconnu que je n’ai jamais revu et que je ne reverrai peut-être jamais, non pas qu’il soit mort, mais c’est aussi une règle que j’ai apprise au SAMU par les médecins et infirmiers urgentistes : on ne doit pas penser, ni s’attacher à ceux que l’on a secouru , ni pendant, ni après le secours. Si on fait cela, on passe dans l’affectif et on risque de s’attendrir et si on s’attendrit, on perd en efficacité. On ne doit pas se laisser guider par ses émotions mais par son professionnalisme, dans l’intérêt des blessés. C’est un peu dur quand on a 21 ans, pleins d’idéaux dans la tête et encore plein d’empathie pour son prochain…Mais avec du recul, ils ont raison, c’est la seule attitude valable.
Le SAMU….quels souvenirs….
NB : Toute la séquence de soins et désincarcération du Grand-Père n’a duré en fait que quelques minutes. C’est plus long à raconter qu’à vivre…